Quoi de mieux que la vraie peau humaine pour tester des produits cosmétiques ? Depuis quarante ans, un laboratoire lyonnais reconstitue de la peau de façon artificielle, pour éviter les tests sur les animaux. Rencontre avec Nathalie Seyler, directrice générale de ce laboratoire du futur.
Ce n’est pas un film science-fiction, mais le quotidien des 90 chercheurs du laboratoire lyonnais du groupe L’Oréal, Episkin et Skin Technology. Depuis plus de quarante ans, ces hommes et femmes en blouse blanche produisent de la peau humaine, mais aussi des muqueuses et de la cornée, de façon artificielle.
Une alternative aux tests de cosmétiques sur animaux
L’idée de reconstruire des organes en dehors du corps humain est née dans les années 1980. « Chez Episkin, nous avons choisi la peau, et nous avons créé dès 1979 le premier épiderme (la couche supérieure de la peau, N.D.L.R.) reconstruit », explique Nathalie Seyler. L’objectif ? Avoir un modèle représentant la peau humaine pour mieux comprendre le vieillissement, l’apparition de taches, la peau sèche… Et ensuite tester des produits pour résoudre ces problèmes de peau que nous connaissons tous. « Cette technologie, validée par les autorités européennes et l’OCDE, nous a permis de faire des avancées en recherche biologique et dermatologique, et de proposer aux marques une alternative aux tests de produits cosmétiques sur animaux, qui sont interdits depuis 2003 dans Union européenne », ajoute-t-elle.
Reconstituer de la peau en dehors du corps humain
Comment ces échantillons de peaux sont-ils formés ? « Nous récupérons des résidus opératoires de chirurgie plastique, explique Nathalie Seyler. La peau est comme un oignon : nous devons ensuite séparer toutes ces couches pour isoler les différents types de cellules. » Les chercheurs placent ces cellules dans un milieu où elles peuvent se multiplier. « À l’extérieur ou à l’intérieur du corps, les cellules n’aiment pas le vide et savent se multiplier. Quand vous vous coupez, par exemple, elles vont très vite chercher à se colmater », explique-t-elle. Les chercheurs conservent ensuite ces stocks de cellules à -196 degrés. Pour former un « tissu de peau », ils les récupèrent et y ajoutent un produit pour qu’elles réagissent et forment une couche cornée, ce qui va créer un épiderme. Grâce à cette technique, les chercheurs peuvent reconstituer des peaux complètes (derme et épiderme), des épidermes, et même des muqueuses. Mais – comme dans le corps humain – tout cela ne se fait pas en un jour. » Il faut entre deux et quatre semaine pour reproduire ce que fait notre corps, de manière artificielle », explique la directrice.
« Nous envoyons des peaux reconstruites dans le monde entier »
Une telle invention ne pouvait pas rester secrète. Depuis le début, le laboratoire a décidé de partager ses recherches au plus grand nombre. « Depuis les années 1980, nous partageons cette technologie avec l’ensemble de l’industrie cosmétique, chimique, pharmaceutique, et dans la recherche, explique Nathalie Seyer. Tous les lundis, nous envoyons ces peaux reconstruites à nos partenaires et même à nos concurrents, dans le monde entier », détaille-t-elle. Nous proposons aussi une formation « Episkin Academy », à tous les scientifiques qui commandent et utilisent nos peaux reconstruites, ajoute-t-elle. Pour aller plus loin et travailler avec les industries locales, le laboratoire a même installé une antenne en Chine et au Brésil.
Des recherches partagées avec les hôpitaux
En plus de sauver les animaux des tests de cosmétiques, ces recherches font avancer la recherche médicale. « La technologie pour produire des échantillons est la même que celle utilisée pour les grands brûlés, explique la directrice. Comme nous, les hôpitaux récupèrent des résidus opératoires de peaux. Ils en font des lambeaux pour ensuite réparer la peau des grands brûlés ». Le centre collabore ainsi régulièrement avec des hôpitaux, comme celui de Percy pour partager leurs recherches.
Taches, bronzage, eczéma …Des peaux plus vraies que nature
Dans la vie, nous ne sommes pas tous égaux face au bronzage, au vieillissement, aux rougeurs… Pour représenter cette réalité, le centre de recherche a ainsi mis au point trois prototypes d’échantillons de peau, en ajoutant plus ou moins de cellules responsables de la pigmentation, les mélanocytes. « Ces échantillons peuvent bronzer, avoir des irritations ou des allergies…ce sont des peaux vivantes ! », ajoute-t-elle. Et pour étudier le vieillissement de la peau, les chercheurs vont les exposer aux UV et tester ensuite différents produits pour freiner ce vieillissement. Seule différence avec la peau humaine ? « Les échantillons n’ont pas de follicule pileux et de glandes pilo-sébacées ».
La prochaine étape ? Développer des modèles de peaux avec des taches pigmentées, de l’eczéma – grâce à la bioimpression – ou des veines, mais aussi y intégrer des poils, ou recréer la sensation du toucher. Nathalie Seyler en est sûre : « nous allons faire des pas de géants ».
Source : Elle