Equilibre entre spécialisation et diversification, succession des blockbusters et rémunération de l’innovation placent la barre très haut pour les industriels.

Quels sont les principaux défis auxquels est confrontée l’industrie pharmaceutique mondiale en ce début 2018 ? La publication égrenée au cours des précédentes semaines des résultats 2017 des grands groupes et l’exercice d’actualisation de la stratégie qui les accompagne propose une image instantanée de la situation du secteur.

Première constatation : la spécialisation dans un domaine thérapeutique dont on devient le champion incontournable peut être dangereuse. N’est pas Roche qui veut en cancérologie.

« L’américain BMS, qui s’est progressivement recentré sur le cancer, est aujourd’hui à la merci des performances de son produits phare, l’Opdivo, comme l’a montré la perte de 20 % de sa valeur en Bourse à la suite d’un échec dans le cancer du poumon », observe un ancien dirigeant de l’industrie.

Idem pour Novo Nordisk. Tout roi du diabète qu’il était, le danois a vu ses ventes stagner en 2017 en raison de la reconfiguration de ce marché. D’où sa volonté d’élargir ses activités à des domaines connexes, comme l’obésité ou la NASH (une maladie du foie). Et son intérêt renouvelé pour l’hémophilie.

Lendemains difficiles

Autre incontournable pour les laboratoires : les blockbusters. D’abord source de prospérité, ils deviennent ensuite un problème lorsque les brevets tombent dans le domaine public.  Les traitements curatifs contre l’hépatite C (9 milliards de dollars de ventes pour le Harvoni en 2016) ont ainsi propulsé Gilead, une entreprise de taille moyenne, dans la cour des grands, mais avec maintenant l’obligation de leur trouver des successeurs aussi brillants.

Idem des produits comme Humira (16 milliards de dollars de ventes en 2016), Enbrel (8,9 milliards de dollars en 2016) ou encore Lantus (6 milliards de dollars en 2016) qui provoquent des lendemains de fête difficiles.

La fonte du chiffre d’affaires d’AstraZeneca (son redémarrage est attendu en 2018) après la perte des brevets de Crestor, Nexium et Seroquel a failli lui coûter son indépendance face à Pfizer.  Que Sanofi ait pu amortir le choc de la perte de brevet de Lantus (avec des ventes quasiment stables en 2017) est déjà une performance en soi.

Rapatrier des avoirs

Générer des blockbusters de façon régulière suppose un instrument de R&D extrêmement puissant. Mais cela peut aussi s’acheter.

« Beaucoup de groupes pharmaceutiques, cherchent à acheter le prochain blockbuster avec d’autant plus d’énergie que leurs brevets se rapprochent de l’échéance », observe Ben McLaughlin, président du groupe Global Healthcare Industry du cabinet d’avocats d’affaires Baker McKenzie.

Les cibles privilégiées sont des biotech avec des produits proches du marché, dans la droite ligne de ce qu’ont fait Gilead avec Kite ou Celgene avec Juno. Ce mouvement devrait s’accélérer en 2018, selon Baker McKenzie, et pousser les valorisations à la hausse, un phénomène encore amplifié par la réforme fiscale américaine qui permet à de nombreux laboratoires américains de rapatrier des avoirs. Le cabinet d’avocats estime ainsi que le montant des fusions-acquisitions devrait croître de 50 %, de 277 milliards en 2017 à 418 milliards de dollars.

Nouveau mécanisme

Mais le mouvement pourrait concerner des activités entières – Pfizer et l’allemand Merck envisagent de céder leur automédication et Lilly sa santé animale. Beaucoup s’attendent aussi à ce que Pfizer, fort de la logique financière qui guide sa stratégie, lance une grosse opération. Parmi les proies envisagées par les analystes, BMS mais aussi Biogen.

Enfin, la qualité de la R&D ne garantit plus à elle seule le succès d’un médicament. Il faut aussi que l’innovation soit correctement rémunérée.

« Or, on observe une forte pression sur les prix qui résulte à la fois de l’action des payeurs et de la concurrence, estime Hervé Ronin, associé chez Bryan Garnier. A l’heure de la recherche mondialisée, personne ne peut plus développer un médicament à l’abri des regards. »

Un nouveau mécanisme d’action inspire souvent d’autres laboratoires quasi simultanément : les nouveaux produits contre le cholestérol anti-PCSK9 de Sanofi et d’Amgen ont ainsi été autorisés presque au même moment. Idem pour les anti-PD1-PDL1 (Opdivo, Keytruda) ou les CART (Novartis, Kite).

« Aujourd’hui, les rentes de situation ne durent pas plus de quelques semaines à quelques mois », conclut Hervé Ronin.

Source : Les Echos