Depuis la découverte de la pénicilline en 1928 par Alexander Flemming, les antibiotiques ont été la meilleure arme contre les bactéries infectieuses, au point de faire gagner dix ans de vie à l’humanité. Mais depuis vingt ans, l’alarme est donnée : les bactéries sont devenues résistantes, voire multirésistantes aux antibiotiques, provoquant une réelle crise sanitaire.
On a peine à le croire aujourd’hui, mais cette antibiorésistance fut longtemps jugée sans gravité. Dès qu’un antibiotique devenait moins efficace, on se contentait de le remplacer par un autre. De fait, les antibiotiques ne sont rien d’autre que des molécules synthétisées par des bactéries ou des champignons pour lutter contre les bactéries concurrentes ; il suffit donc à l’industrie pharmaceutique de rechercher dans la multitude des micro-organismes de telles molécules. Avec succès : entre 1940 et 1970, plus d’une centaine ont été commercialisées, regroupées en différentes familles selon leur mode d’action (voir infographie).
Les ravages des infections bactériennes
Sauf que la source a fini par se tarir : depuis 2000, seuls 20 nouveaux antibiotiques ont été découverts. Pendant ce temps, les bactéries développaient, à force de subir la pression des antibiotiques, des mécanismes de résistance, ceux-ci se propageant d’autant plus vite qu’ils se transmettent de génération en génération, mais aussi entre partenaires sexuels. Résultat : 33 000 personnes sont mortes en Europe en 2015 à cause d’infections bactériennes. Et l’OMS parle de 10 millions de morts en 2050…
Heureusement, l’amélioration de l’hygiène, notamment en milieu hospitalier, mais aussi les campagnes visant à limiter l’usage d’antibiotiques ont donné un peu de répit. En France, si 33 % des staphylocoques dorés étaient résistants à la méticilline en 2001, cette proportion est tombée autour de 15 % en 2015. Un succès qui ne peut occulter que l’antibiorésistance progresse partout dans le monde, surtout dans des pays comme la Chine ou l’Inde, où les doses d’antibiotiques ont augmenté de 36 % en dix ans, alors que, selon l’OMS, une prescription sur deux est injustifiée. Du pain bénit pour doper la résistance des bactéries ! Dans ces conditions, la découverte de nouveaux antibiotiques paraît une urgence. Et pour relever le défi, deux grandes stratégies sont actuellement envisagées.
Des molécules « seventies » !
Première piste : celle qui consiste à aller rechercher des molécules découvertes pendant l’âge d’or de la recherche antibiotique, mais laissées de côté, car moins efficaces ou avec des effets indésirables. Les bactéries n’ont donc pas développé de résistance à leur endroit. Une stratégie dite « Retour vers le futur » d’ores et déjà appliquée. Ainsi, la daptomycine, découverte en 1980, mais jamais exploitée en raison d’effets secondaires d’ordre musculaire, a été commercialisée en 2003 aux États-Unis et en 2006 en Europe. C’est que la balance bénéfices/ risques est aujourd’hui réévaluée à l’aune de l’état critique de certains patients.
Par ailleurs, certaines de ces vieilles molécules sont améliorées, telles la colistine et la vancomycine, dont des versions synthétiques limitent les effets secondaires.
Idem en ce qui concerne la pyridomycine. Alors que cette molécule a été découverte en 1953 mais jamais exploitée, une équipe suisse a montré en 2012 qu’elle pourrait bien être efficace contre la bactérie responsable de la tuberculose, y compris contre les souches résistantes.
L’autre stratégie plaide pour concentrer les efforts de la recherche sur les bactéries dites « gram négatives ». Car celles-ci représentent quatre des six bactéries multirésistantes jugées les plus inquiétantes.
Contre elles, de nouveaux antibiotiques sont ainsi en cours de développement.
Leur but : contrer non la bactérie, mais sa résistance en inhibant certaines de ses enzymes. Reste que, pour l’heure, seule une poignée d’entreprises pharmaceutiques travaillent à l’élaboration de ce type de molécules. Dans le meilleur des cas, celles-ci n’arriveront pas sur le marché avant 2020.
En attendant que des produits efficaces nous sauvent de la menace bactérienne, on ne saurait donc trop rappeler que « les antibiotiques, c’est pas automatique »…
Source : Science & Vie