Alors que la crise du Covid-19 met en exergue la délocalisation de la production de nos médicaments en Inde et en Chine, cet industriel normand montre l’exemple. Précisions.
Que ce soit pour les masques, les gants, les surblouses, les principes actifs, les traitements anesthésiques, les respirateurs… la crise sanitaire du Covid-19 met le doigt sur notre dépendance à des pays comme la Chine ou l’Inde pour avoir accès à ces précieux outils pour endiguer une pandémie mondiale.
Une situation que dénonce Jean-Charles Rousset, le directeur du laboratoire pharmaceutique Aspen de Notre-Dame-de-Bondeville, près de Rouen (Seine-Maritime), qui a décidé de relocaliser des traitements anesthésiques sur le site industriel normand.
Celui qui est aussi membre du comité exécutif de Polepharma, le premier cluster européen de l’industrie pharmaceutique, tire la sonnette d’alarme depuis déjà plusieurs années. Il répond à nos questions.
76actu: Pourquoi la France ne produit-elle plus les médicaments, les principes actifs et les traitements dont nous avons besoin aujourd’hui ?
Jean-Charles Rousset, directeur d’Aspen : Cela fait 20 ans que les pouvoirs publics mettent la pression sur la sécurité sociale pour qu’elle réduise ses coûts. Ce qui a mis une pression énorme sur les laboratoires pharmaceutiques français et sur le prix des médicaments.
« Les décisions politiques ont poussé à la délocalisation »
Ce sont ces décisions politiques qui ont poussé à la concentration et à la délocalisation de la production des principes actifs dans quelques groupes d’industriels chinois et indiens, qui ont des coûts de fabrication beaucoup plus bas qu’en France et en Europe.
Les médicaments génériques à bas coût, ce n’est pas possible de les produire chez nous à ce prix-là. Le prix de vente est déjà inférieur au coût de la production ! Et cette concentration pose un vrai souci en cas de problème technique ou qualité d’un de ces groupes car ce sont les patients du monde entier qui en pâtissent.
Avec la relocalisation des traitements anesthésiques près de Rouen, vous essayez donc de contrer ce phénomène ?
Nous avons racheté un portefeuille de produits à Astra-Zeneca et nous avons rapatrié leur production sur le site de Notre-Dame-de-Bondeville. Jusque-là, ils étaient fabriqués en Australie et en Suède. Avec un investissement de 65 millions d’euros, nous allons donc pouvoir fabriquer 50 millions de doses par an, d’ici à 2022. Et embaucher une centaine de personnes.
Ces produits anesthésiques sont évidemment un sujet sensible en ces temps de crise du Covid-19. Ils sont actuellement sous tension avec l’explosion des besoins pour les patients en réanimation. Le fait de les rapatrier est donc positif.
« On est loin de l’autonomie sanitaire »
Cependant, si nous continuons d’exister, c’est grâce à notre compétitivité et notre technicité. Nous sommes spécialisés dans les médicaments injectables stériles, ce qui demande une technique que les grands groupes indiens ou chinois n’ont pas. Mais si l’on veut que la France – ou plutôt l’Europe si on veut être réaliste – redevienne autonome sur le plan sanitaire, on est encore loin, très très loin.
Que faudrait-il faire alors pour que la France ou l’Europe devienne plus autonome sur le plan des médicaments ?
Il faut que l’administration, qui fixe le prix des médicaments sur le marché de l’industrie pharmaceutique, propose un prix correct. Surtout pour les vieux médicaments où la concentration est très forte. Sans vraie politique de prix, vraie politique du médicament et vraie politique sanitaire de la part des décideurs politiques, en concertation avec les industriels, c’est impossible.
Je pense qu’il est illusoire de penser qu’on pourra être autonome au niveau de la France, il faut plutôt l’envisager au niveau de l’Europe. On a encore une bonne production pharmaceutique en Europe, et même en France où on a gardé plus d’industriels dans le secteur qu’en Allemagne ou en Angleterre par exemple. Mais on n’est plus sur les principes actifs, on est plutôt sur la mise en forme des médicaments.
Redorer le blason des industries pharmaceutiques ?
Avec la crise sanitaire actuelle, pensez-vous que nous pourrions vivre une pénurie de certains médicaments ?
Pour le moment, l’industrie pharmaceutique tient le choc, les sociétés continuent de tourner, il ne devrait pas y avoir de pénurie, même s’il y a quelques explosions sur certains principes actifs ou sur des molécules qui sont actuellement en tension.
Je rappelle aussi que tous les laboratoires pharmaceutiques sont tous sur le pont pour trouver le plus rapidement un traitement et un vaccin pour lutter contre ce coronavirus. Cette crise sanitaire va peut-être redorer un peu le blason des industriels pharmaceutiques français, souvent très critiqués par le grand public. Cette crise met en exergue notre utilité sociale. J’espère que les Français s’en souviendront.
Source : 76actu