La jeune entreprise travaille à une technologie de microfluidique pour fabriquer des thérapies cellulaires et géniques. L’innovation aiderait à réduire les coûts et l’empreinte physique de ce type de production.

Et si l’on parvenait à accélérer la bioproduction en France en miniaturisant les procédés ? Alors que l’approche traditionnelle consiste à étendre les capacités avec des volumes de réacteurs toujours plus importants (et des surfaces dédiées à l’analytique qui doivent aussi accompagner ces montées en puissance), une start-up parisienne aborde cette problématique sous un angle différent : par la miniaturisation du procédé.

Un pari dont les premières étapes ont su convaincre les investisseurs. Astraveus vient de signer une levée d’ampleur pour une si jeune structure, avec 16,5 millions d’euros récupérés. « L’idée de l’entreprise est partie d’un pari technologique risqué, celui de développer une technologie par rapport à un besoin », rappelle Jérémie Laurent, le fondateur d’Astraveus.

L’entreprise a été créée en 2016, à partir d’un projet personnel de ce jeune polytechnicien de formation qui a rapidement vu une opportunité de repositionner la microfluidique. « Jusque-là, la microfluidique était surtout développée pour des projets du domaine de l’analytique, il y avait un saut technologique à réaliser pour aller vers la thérapie cellulaire et génique », explique-t-il. Rapidement, l’ingénieur a pu s’appuyer sur l’unité de biothérapie de l’Hôpital Saint-Louis, à Paris, pour faire éclore son projet de thèse et d’entreprise. De quoi travailler au développement du système de diffusion et de sa plateforme appelée Lakhesys.

Dans un système microfluidique, de petites quantités de liquides vont circuler dans des canaux de diffusion à l’échelle du nanolitre, simulant la perfusion d’un organe et accélérant les échanges moléculaires. « Lorsque l’échelle d’un système est divisée par dix, la diffusion est accélérée d’un facteur 100, cela signifie des réactions plus quantitatives », explique le jeune dirigeant qui précise : « la diffusion pilote toutes les réactions ».

Un outil conçu dès l’origine pour la production

La première partie du projet a consisté à renforcer les brevets, à développer les systèmes de pilotage du flux dans les dispositifs, mais aussi à « faire en sorte qu’ils soient compatibles avec les conditions d’asepsie exigées par la réglementation pharma », rappelle-t-il. C’est là une des originalités d’Astraveus : avoir créé sa solution pour un usage industriel, dès son développement. Bien que la start-up ne compte que 28 employés, elle peut déjà s’appuyer sur des pharmaciens présents dans ses effectifs pour s’assurer de la conformité avec la réglementation pharma. De quoi, aujourd’hui, avancer vers sa solution de mini-usine de bioproduction, conçue « pour avoir la capacité d’une petite usine de thérapie cellulaire, capable de traiter quelques centaines de patients par an », précise-t-il.

Cette miniaturisation repose sur une « unité », concentrant la technologie de la société. « Notre unité microfluidique n’est pas seulement une puce, mais se décline en série dans un module complet de la taille d’un livre, qui contient un consommable que l’on peut assimiler à un bioréacteur et une unité de lavage ; avec ces volumes miniaturisés, nous sommes capables d’avoir le rendement d’une petite usine de thérapies cellulaires dans une machine tenant sur une paillasse», complète-t-il.

La petite taille de l’équipement offre plusieurs avantages. Les risques de contamination sont réduits, alors que le système a été conçu comme entièrement fermé. « L’idée de cette unité de production miniaturisée est d’embarquer aussi des moyens analytiques, de sorte de pouvoir assurer au moins certains des contrôles qualité pour la libération », décrit Jérémie Laurent qui rappelle également que « grâce à la miniaturisation, tout est piloté au microlitre près ». En raison des clauses de ses propriétés intellectuelles, il est difficile pour Astraveus d’en dire plus sur le cœur de son procédé.

Des applications sur les thérapies cellulaires

La technologie se décline pour plusieurs applications. Astraveus met en avant un premier usage pour la « mise au point et l’optimisation de procédés », avec des applications bien précises en tête. « Nous nous concentrons sur les applications, avec un produit cellulaire, sans filtration ou chromatographie », précise-t-il. « Cela peut-être, par exemple, des traitements par cellules CAR-T, avec une première matière cellulaire concentrée, triée et exposée à un vecteur pour la modifier génétiquement », suggère-t-il.

Exit donc, pour le moment, la bioproduction focalisée sur les protéines ou les anticorps monoclonaux, encore trop complexes dans leur phase de filtration. Autres produits sur lesquels Astraveus souhaiterait se positionner : les thérapies géniques, et plus particulièrement celles issues des cellules souches modifiées par un lentivirus. Avec, là encore, un moteur pour accéder à ce marché, celui de l’enjeu du coût de production qui devient capital pour l’accès au traitement pour les patients. « Nous avons vu récemment des thérapies géniques avec l’AMM en Europe, mais les laboratoires ont renoncé à la commercialisation, faute d’accord sur les prix. Notre solution pourrait être une façon d’abaisser le coût de ces thérapies géniques », explique le dirigeant d’Astraveus.

La technologie d’Astraveus pourrait aussi combler un manque dans la montée en échelle. Une étape particulièrement complexe à valider sur les thérapies cellulaires. « A la fin de la phase III, il peut être très compliqué de passer du bioréacteur utilisé pour les lots cliniques à des volumes pour une échelle commerciale, tout en maintenant un procédé performant », observe-t-il. Avec la solution microfluidique, il suffirait de multiplier les unités de production, dans une surface relativement modeste, pour accompagner le déploiement d’un produit dans sa phase commerciale. « Dès le départ, les machines peuvent fonctionner sur une durée proche du 24h/24. Nous considérons que la solution microfluidique pourrait avoir un facteur multiplicateur par dix du rendement par rapport aux plateformes actuelles, en permettant une montée en échelle immédiate », détaille-t-il. La technologie viendrait aussi répondre à un manque de savoir-faire et de compétences disponibles sur cette bioproduction. « Les industriels ont du mal à renforcer leurs équipes ; cette solution peut y répondre, tout comme cela peut être une réponse au manque de surfaces disponibles et adaptées à la bioproduction », conclut-il.

Une commercialisation encore en pointillé

Autant d’arguments, sans compter la dimension environnementale de réduction des surfaces et des réactifs, qui montrent qu’Astraveus a bien réfléchi à son modèle de développement et d’affaires. Au point de déjà susciter des intérêts de différents laboratoires pharmaceutiques. Déjà, deux groupes de taille mondiale sont présents parmi les investisseurs d’Astraveus : Merck KgaA et J&J. « La mise sur le marché n’est pas pour demain », tempère Jérémie Laurent, mais « l’objectif est de déployer la solution le plus vite possible », projette-t-il.

La jeune biotech française peut compter sur un momentum autour de la médecine personnalisée, avec la volonté de rapprocher les unités de production des lieux de soin et d’accélérer le cycle de développement des médicaments. Bien qu’à visée internationale, le recours à la microfluidique pour la bioproduction pourrait aussi permettre à l’Europe, et à la France, de combler une partie du retard en matière de capacités. Pour l’heure, porté par sa levée de fonds, Astraveus vise à faire doubler ses effectifs pour préparer la commercialisation et « avoir cette robustesse nécessaire à la production pharmaceutique », rappelle son dirigeant.

Source : L’Usine Nouvelle