Les difficultés du géant français Sanofi à répondre au défi de la crise sanitaire amène à une prise de conscience du rôle crucial des entreprises de biotechnologies comme Valneva. En dehors de la biotech nantaise désormais mieux connue du public voici quelques exemples d’innovations de rupture en développement aujourd’hui chez les jeunes pousses françaises – qui mériteraient des moyens à la hauteur.
À titre d’illustration et sans préjuger de l’aboutissement des recherches en cours -en matière de recherche pharmaceutique, l’échec étant malheureusement plus souvent la règle que le succès – la rédaction de BFM Bourse a sélectionné cinq exemples de technologies de rupture actuellement en développement au sein de biotechs tricolores cotées. Toute l’actualité des entreprises de biotechnologies, du diagnostic et des technologies médicales est à retrouver chaque jour sur le site dans la rubrique dédiée et est régulièrement traitée à l’antenne de BFM Business.
Adocia veut changer le quotidien des personnes diabétiques
L’insuline est cette hormone permettant l’absorption du glucose, que le foie des personnes touchées par le diabète de type 1 (insulino-dépendant) n’est tout simplement pas capable de secréter. Auparavant mortelle en quelques années, le cours de la maladie a été transformé par la première insulinothérapie, apparue en 1923. Mais si l’insuline est vitale pour les patients diabétiques, elle ne permet qu’un contrôle imparfait de la glycémie. Chez les sujets sans diabète, le pancréas sécrète de manière synchrone d’autres hormones, comme l’amyline. L’absence d’amyline chez les diabétiques réduit la durée de la digestion (le pylore s’ouvre trop tôt), d’où des difficultés digestives, des envies de grignotage (aux Etats-Unis 65% des diabétiques insulino-dépendants sont en surpoids) et un ensemble de comorbidités. La mise sur le marché en 2005 d’un analogue de l’amyline appelée pramlintide a donc été saluée comme l’un des plus grands progrès depuis des années pour les patients… en théorie. Problème : les formulations d’insuline prandiale et de pramlintide ne sont pas compatibles (différences de profils de stabilité et de solubilité), ce qui implique trois injections supplémentaires par rapport au quatre (au moins) injections d’insuline quotidiennes – auxquelles il n’est déjà pas facile de s’astreindre. Adocia a utilisé sa plate-forme BioChaperone de reformulation de protéines thérapeutiques pour mettre au point la seule combinaison injectable de pramlintide et d’insuline (testée avec succès en phase 1b chez l’homme). Objectif : améliorer l’efficacité thérapeutique sans alourdir encore le traitement des patients, tout en maîtrisant les coûts de santé. Plus spectaculaire encore, Adocia travaille avec l’Inserm Lille, un centre européen en pointe dans le développement de thérapies cellulaires, c’est-à-dire la greffe de cellules prélevées sur des pancréas de donneurs récemment décédés pour restituer aux diabétiques la capacité de secréter les hormones défaillantes. Aujourd’hui pour qu’une telle greffe, délicate, ne soit pas rejetée par l’organisme il faut recourir à un traitement immunosuppresseur, avec pour conséquence une augmentation du risque d’infections et de cancers. Face à ce défi, Adocia a conçu une matrice hydrogel innovante capable de maintenir l’activité des cellules greffées tout en les protégeant d’une dégradation par le système immunitaire du receveur – comparable à une cage protégeant un plongeur s’approchant de requins. « J’ai soixante et quinze ans ; et si je continue à venir chaque matin c’est que je sais tout ce que notre technologie peut apporter aux malades », confie Gérard Soula, qui fut l’un des premiers français à introduire une biotech -Flamel Technologies- sur le Nasdaq américain.
Marché potentiel : le diabète est l’un des principaux tueurs au monde, souligne l’OMS. Il ne fait pas qu’affecter la qualité de vie des patients (50 ans avec la maladie représente plus de 100.000 piqûres) mais entraîne de nombreuses comorbidités (dialyse, cécité, infections et plaies sévères, maladies cardio-vasculaires). Un Français sur dix est touché, et à l’échelle de la planète un demi-milliard de personnes sont atteintes. Il représente 80 milliards de dollars de dépenses directes, le deuxième plus grand marché pharmaceutique après le cancer.
GenSight réinterprète le miracle de Bethsaïde
La promesse des thérapies géniques tient presque du miracle, puisqu’il s’agit de véritablement guérir les maladies génétiques en corrigeant les gènes défectueux qui en sont responsables. Mais le défi scientifique est à la hauteur puisqu’il faut d’abord des années de recherche rien que pour identifier le défaut, puis découvrir comme le corriger, et trouver un vecteur pour introduire le gène corrigé là où il est nécessaire, ce qui explique qu’il n’en existe encore très peu sur le marché. Pionnier français de cette discipline, Gensight Biologics a choisi de s’attaquer en premier lieu à des maladies de la vision (en tant qu’organe « clos » l’œil se prête relativement plus facilement à l’insertion ciblée d’un gène corrigé). Son premier traitement, dont le dossier de mise sur le marché est maintenant entre les mains de l’Agence européenne du médicament, vise à restaurer la vision de patients atteints de neuropathie optique héréditaire de Leber (NOHL). Heureusement rare, cette maladie génétique affecte le nerf optique, entraînant une baisse brutale de l’acuité visuelle. Elle touche généralement des sujets masculins jeunes -entre la fin de l’adolescence et la trentaine- qui en quelques mois se retrouvent au seuil de la cécité légale. Incubée à l’Institut de la Vision, Gensight Biologics a mis au point une thérapie génique appelée Lumevoq qui rétablit l’expression du gène mitochondrial ND4, avec à la clé un regain spectaculaire de la vision, de plusieurs lignes sur l’échelle ETDRS. En attendant le feu vert à la commercialisation dans cette indication, Gensight ne reste pas bras croisé. La firme travaille à un projet dans la rétinite pigmentaire, nettement plus répandue que la NOHL (c’est la principale cause de cécité héréditaire dans les pays développés) et sans traitement à ce jour, et un autre pour lutter contre l’atrophie géographique de la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge) sèche.
Marché potentiel : Le marché des thérapies géniques est encore balbutiant, exigeant des investissements colossaux pour des résultats cliniques tout sauf acquis, sans parler de la réticence des organismes de paiement privés ou publics à rembourser des traitements sur-mesure extrêmement onéreux (même s’ils reviennent à la longue moins cher que les soins chroniques à prodiguer aux patients). Les possibilités de développement sont en revanche très prometteuses car la recherche avance, la France bénéficiant d’ailleurs de centres de recherche de premier rang mondial dans l’étude et la compréhension des troubles génétiques. Mais dans un secteur où les investissements sont cruciaux pour avancer, les États-Unis sont en train de prendre une avance considérable. On compte à Wall Street une quinzaine de sociétés vouées à ce domaine, dont la capitalisation dépasse souvent plusieurs milliards de dollars.
Nanobiotix à la conquête de l’infiniment petit pour soigner une majorité des cancers
L’arme fatale contre le cancer existe, et voilà même un bon siècle qu’elle est à la disposition des praticiens : il s’agit de la radiothérapie. En bombardant une tumeur de rayons X, on vient à bout rigoureusement de toutes les cellules cancéreuses ; le problème étant que les cellules saines ne sont pas épargnées, de sorte que le risque est de tuer le patient avant de le guérir. Autrement dit, la dose maximale de radiations que peut supporter l’organisme du patient limite en pratique l’efficacité intrinsèque de la radiothérapie. Nanobiotix est allé chercher une solution dans l’infiniment petit : des nanoparticules d’hafnium, un métal inerte absorbant les neutrons, injectées dans la tumeur. Pour l’échelle, si votre salon était une cellule, les particules auraient la taille d’un fruit posé dans la corbeille: une fois injectées dans la tumeur, les nanoparticules démultiplient l’effet des rayonnements sans atteindre les tissus avoisinants : l’effet est purement physique, donc insensible à la biodiversité des individus et des tumeurs. Si ce « radio-enhancer » a déjà obtenu son homologation dans une forme de cancer appelé sarcome des tissus mous, Nanobiotix multiplie les essais (cancers de la tête et du cou, du foie ou du rectum), aux côtés de partenaires de renom comme le MD Anderson Cancer Center aux Etats-Unis, l’un des, sinon le plus réputé au monde, des instituts contre le cancer. En bonus, Nanobiotix a mis en évidence le fait que la radiothérapie associée à sa technologie avait la capacité de rendre certaines tumeurs repérables par le système immunitaire et donc augmenter le nombre de patients répondeurs aux inhibiteurs de check-points, ces thérapies qui depuis une quinzaine d’années ont révolutionné le traitement de certains cancers, mais qui ont l’inconvénient de ne fonctionner que sur une frange limitée de patients.
Marché potentiel: Plus d’un patient sur deux atteint de cancer reçoit, à un moment ou l’autre de son parcours de soins, un traitement par radiothérapie. Le produit de Nanobiotix ne nécessite qu’une injection préalable, sans adaptation des matériels ou formation particulière pour les manipulateurs. En progression régulière, alors que de plus en plus de pays accèdent aux matériels de base, le marché mondial de la radiothérapie est évalué à près de 7 milliards de dollars dans le monde et celui des inhibiteurs de checkpoints 12 à 15 milliards.
Pherecydes Pharma retourne les virus contre les bactéries résistant aux antibiotiques
Parmi l’immensité des virus existants, beaucoup n’affectent nullement les humains mais pour se reproduire parasitent la machinerie cellulaire des bactéries : il s’agit des virus bactériophages, ou phages tout simplement. Ils ont été historiquement utilisés dès le début du XXe siècle, puis quasiment abandonnés (à l’exception de quelques institutions en Georgie ou en Russie) au profit des antibiotiques, beaucoup plus faciles à produire et agissant sur un grand éventail de bactéries. Agissant beaucoup plus spécifiquement –un phage n’agissant que sur une souche particulière de bactérie- ils retrouvent aujourd’hui de l’intérêt face à l’émergence d’infections résistantes aux antibiotiques, notamment d’origine nosocomiale. Mais très peu d’entreprises disposent de l’expertise permettant d’identifier les phages efficaces pour chaque patient, isoler et conditionner les candidats et assurer une administration efficace : seulement une petite dizaine dans le monde, dont le français Pherecydes Pharma, récemment introduit en Bourse. L’approche innovante de Pherecydes -appelée phagothérapie de précision- permet de passer au crible et caractériser de grandes quantités de phages pour n’en sélectionner que les plus performants sur des souches bactériennes d’intérêt. Les phages les plus efficaces sont ensuite isolés, caractérisés, testés puis produits dans des conditions contrôlées. Les autorités françaises s’étant récemment ouvertes à la possibilité d’utiliser des phages dans des cas jugés sans autre issue (via une ATU), la technologie de Pherecydes a déjà été utilisée avec succès chez 22 patients. L’objectif est maintenant de démarrer un programme d’essais cliniques pour obtenir les autorisations définitives de mise sur le marché.
Marché potentiel: L’antibiorésistance est qualifiée par l’OMS de grave problème de santé publique, le nombre de cas progressant de plus en plus rapidement. Le ministre français de la Santé juge que la résistance aux antibiotiques risque de compromettre « toutes les avancées que la médecine a effectuées depuis plus de 70 ans ». À l’échelle mondiale, les résistances microbiennes seraient responsables de 700 000 morts par an. Si rien ne change, les maladies infectieuses d’origine bactériennes pourraient redevenir en 2050 une des premières causes de mortalité dans le monde, en provoquant jusqu’à 10 millions de morts.
Pour mieux traiter les troubles neurologiques, Theranexus cible cellules neuronales et non neuronales
Originaire de la pépinière Laënnec à Lyon, Theranexus se spécialise dans les troubles neurologiques, domaine notoirement ardu pour le développement de toute innovation (notamment parce que le cerveau est un organe physiologiquement très protégé, il est très difficile d’y amener des molécules thérapeutiques). Les médicaments psychotropes proposés actuellement dans les troubles neurologiques (tels que l’épilepsie, la narcolepsie, la maladie de Parkinson, la maladie d’Alzheimer, les affections psychiatriques…) présentent une efficacité généralement limitée et le développement de nouveaux traitements apparaît comme un enjeu majeur. Anciens chercheurs au Commissariat à l’Energie Atomique, les fondateurs de Theranexus ont démontré que des cellules non neuronales (cellules « gliales ») jouaient un rôle clé dans la réponse des neurones à ces médicaments psychotropes, et qu’en modulant l’organisation des réseaux des cellules gliales, il était possible d’accroître l’efficacité de ces médicaments. Cette technologie protégée, déclinable sur de multiples indications, consiste ainsi à agir simultanément sur les cellules gliales (jusqu’ici négligées) et sur les neurones. À partir de deux molécules connues, le modafinil (un psychostimulant) et le flécaïnide (utilisée ici pour son action sur les cellules gliales favorisant la transmission des influx nerveux entre les neurones), Theranexus a formé un nouveau traitement, THN102, qui est allé avec succès jusqu’au terme des essais cliniques en tant que traitement des accès de somnolence dans la maladie de Parkinson. Pour la société, il ne s’agit que de la première brique de l’édifice : elle mène des essais sur d’autres traitements expérimentaux dans la maladie d’Alzheimer, les douleurs neuropathiques et la maladie de Batten.
Marché : Au moins un tiers des personnes atteintes de la maladie de Parkinson sont sujets à des épisodes de somnolence diurne excessive, soit 2 millions de personnes rien que sur les principaux marchés (Etats-Unis et Europe). C’est un symptôme distinct, moins connu du grand public que les problèmes moteurs associés à la maladie, mais très handicapant. Les troubles neurologiques dans leur ensemble affectent près d’un milliard de personnes dans le monde, la proportion grandissant avec le vieillissement de la population. Ils sont l’une des premières causes d’invalidité et leurs coûts globaux correspondent à plus d’un tiers des dépenses mondiales de toutes les maladies réunies.
Source : BFM Bourse